Au pied de la Dame de fer, des boulistes inoxydables
Avec les beaux jours, les amateurs de pétanque se multiplient sur le Champ-de-Mars mais un groupe de passionnés s’y réunit depuis des années, faisant fi de la météo. Qu’il vente ou qu’il gèle, ils sont fidèles à leur emplacement situé à quelques pas de la tour Eiffel.
Certains boulistes détournent les engins de chantier pour y ranger leurs boules...
Ce groupe d’irréductibles fait preuve de résistance. Ainsi, il a su s’adapter lorsque le parc a été fermé pour les Jeux olympiques. Pendant dix mois, le Champ-de-Mars a été inaccessible et leur terrain de pétanque fermé. Mais les boulistes ne se sont pas découragés et ont continué à se retrouver chaque jour dans des recoins improvisés en fonction de l’avancement des travaux, dans d’étroites contre-allées, coincés entre barrières et clôtures. Et ce qui aurait pu être une contrainte s’est transformé en plaisir : les touristes venus en nombre pour l’événement planétaire ont adoré les voir jouer — et les ont photographiés à profusion.
Une bande d'habitués
Une corneille lui a volé son cochonnet pendant l’hiver. "Deux fois de suite. J’étais tout seul à m’entrainer, il faisait -2 degrés", se souvient Serge avec un large sourire. La corneille a caché la petite sphère jaune vif dans un buisson. "C’était après les JO, tout n’était encore que barrières au Champ-de-Mars. J’ai dû faire un grand tour pour accéder au buisson et récupérer mon bien".
Serge, l'un des nouveaux arrivants dans le groupe
Serge est le petit dernier de la bande d’habitués qui jouent à la pétanque du Champ-de-Mars. Il n’a commencé à jouer que depuis dix mois et s’entraine consciencieusement tous les jours, souvent pendant quatre à cinq heures. Il habite dans le 15ème arrondissement, à une demi-heure de trajet.
Beaucoup de ses collègues de pétanque viennent des arrondissements voisins mais pas seulement. Sylvestre, qui habite le 19ème, fait ainsi une heure et demie de transport pour venir au Champ-de-Mars, car, de l’avis de tous, "c’est le plus beau terrain de pétanque de Paris, de France et même du monde !"
Fer à fer, la pétanque devant la Tour
Il faut dire qu’ils sont gâtés : leur esplanade, située à quelques mètres de la place Jacques Rueff et de l’allée Thomy-Thierry, offre un cadre exceptionnel. La vue sur la tour Eiffel y est époustouflante, les rayons du soleil couchant y sont doux et des arbres leur offrent une ombre bienveillante en été. Ils ne disposent pas de vrais terrains de pétanque, fermés ou délimités par des planches en bois, mais l’endroit est plat, ouvert et grand. Souvent, on peut y jouer en parallèle quatre ou cinq parties à la fois, tout en gardant ses aises.
Les boulistes apprécient les touristes chinois et … chinoises
Les touristes sont nombreux à passer et les boulistes apprécient ce contact. "Les étrangers sont contents de nous voir," constate Georges, un Parisien de naissance qui vient jouer ici depuis trente-deux ans. Leurs touristes préférés ? Les Chinois et les Américains. "Les Chinois sont intéressés, ils veulent souvent toucher nos boules pour les soupeser", note Sylvestre. Les Américains – et les Anglo-Saxons en général - font l’unanimité : "Certains passent la journée entière avec nous et nous envoient ensuite des photos et vidéos". Et Georges de conclure avec satisfaction : "Nos portraits reposent sur les tables de nuit du monde entier !"
Côté diversité, les boulistes du Champ-de-Mars n’ont rien à envier aux touristes. Il y a des Français bien sûr – des Parisiens mais aussi des Bretons, des Normands et des Corses – et aussi des joueurs venus d’Italie, du Portugal, d’Égypte, de Croatie ou du Cap vert. Tout le monde joue avec tout le monde, au fil des parties. Ce jour radieux d’avril, ils étaient trente sur le terrain et cinq parties se jouaient en parallèle.
Une seule femme est au rendez-vous : Françoise. Celle-ci se souvient, qu’au début, elle a dû prouver ses compétences à certains hommes du groupe. Quand ils ont compris qu’elle jouait aussi bien qu’eux et peut-être mieux, elle a été adoptée. Avant, il y avait aussi Germaine qui, à 86 ans, continuait de venir inlassablement jouer au Champ-de-Mars mais elle est aujourd’hui décédée.
Aujourd’hui seule femme du groupe, Françoise est respectée car elle joue très bien.
Sylvestre est le doyen des joueurs du Champ-de-Mars. Il y joue depuis …. soixante ans. Pour dire vrai, il avait sept ans à l’époque et jouait davantage au ballon qu’à la pétanque. L’atmosphère bon enfant qui régnait dans le parc, dans les années 70, l’a marqué à jamais. "C’était vraiment multiculturel. Je me souviens que le CEA * avait ses bureaux dans le coin et que les employés sortaient des bureaux tous les midis pour jouer à la pétanque".
Retraité depuis un an, Sylvestre vient désormais tous les jours ou presque, de l’autre bout de Paris. Dans le groupe, tout le monde vient régulièrement mais chacun a ses habitudes. Georges dit avec malice qu’il vient tous les jours, « sauf le samedi et le dimanche qui sont réservés à sa femme » !
Entouré de Georges et d'André, Sylvestre se repose sur un banc de pierre récemment restauré.
Autrefois, l’un des plus grands clubs de la capitale
Sylvestre rappelle le temps où le club de pétanque du Champ-de-Mars comptait parmi les plus importants de la capitale. Dans les années 80, le club "Grenelle pétanque" rassemblait près de 320 adhérents et organisait de nombreux concours. Il évoque "les deux frères Pinto, qui habitaient avenue de la Bourdonnais et qui avaient été sacrés champions de Paris". Et puis, au fil des ans, l’énergie a faibli. Soutenue par encore 120 adhérents dans les années 2000, l’association a ensuite disparu.
Jouer à la pétanque conserve. Ici, Georges, 87 ans.
Et pourtant, la passion perdure au Champ-de-Mars, malgré quelques contraintes, liées notamment à l’exploitation régulière du parc pour de grands événements comme le défilé YSL ou le jumping Longines. Les joueurs pestent alors car leurs lignes de bus sont détournées. Pas pour un jour mais pour un mois à chaque fois !
Des installations modestes
Leur terrain de pétanque ne dispose d’aucune installation particulière, si ce n’est un simple panneau invitant à jouer sur les lieux. Les boulistes aimeraient avoir plus de poubelles à disposition, plus de bancs pour pouvoir se reposer après une partie intense. Et bien sûr qu’ils envient les clubs richement dotés comme celui du jardin du Luxembourg où les joueurs disposent "de toilettes, de cintres pour mettre leurs vêtements et même de boitiers fermés pour y laisser leurs boules reposer la nuit".
Quelques-uns estiment que leur sport, par définition populaire, est juste "toléré" dans l’environnement de prestige que constitue la grande perspective patrimoniale allant du Trocadéro à l’École militaire. Mais tous sont attachés à jouer à l’ombre de la Dame de fer et ne voudraient pour rien au monde aller ailleurs tâter du cochonnet. S’ils reviennent inlassablement au Champ-de-Mars, c’est aussi pour le plaisir de se retrouver entre copains. La convivialité, c’est pour elle au final, qu'ils convergent tous les jours vers le parc parisien.
Corinne Roy - 18 avril 2025
Crédits photographiques : Amis du Champ de Mars / C. Roy
* CEA : Commissariat à l’énergie atomique
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