LE VIEUX MANÈGE DU CHAMP-DE-MARS À L'ARRÊT

Renato fait tourner le plus vieux manège de Paris depuis trente ans. Aujourd’hui, comme les autres, il doit fermer son installation pour six mois au moins,  sans indemnisation , à cause des Jeux olympiques qui  vont investir le jardin. Il a reçu une notification de libérer le lieu le 15 janvier alors que les JO commencent le 26 juillet à Paris. Ce n’est pas la première fois que le manège – et la buvette attenante – doivent être fermés  en raison d’événements  au Champ-de-Mars. Mais six mois, il n'avait jamais vécu cela  !

Découvrez l’histoire du manège  et la passion de Renato pour les arts forains :

Renato est son concessionnaire depuis 1993, trente ans déjà. A l’époque, il avait 22 ans et c’est son grand-père Vincent qui l’a encouragé à le reprendre. Car la famille avait une relation au Champ-de-Mars vieille de cinquante ans. Le grand-père et des tantes avaient commencé à y vendre des glaces dans les années 40, aux alentours de la tour Eiffel.

L'une des tantes de Renato vendait autrefois des glaces, des pralines et du nougat au pied de la tour Eiffel.

Renato (à droite) a aussi vendu des glaces.

Un manège pas très branché

Renato s’est vite attaché à son carrousel de chevaux de bois, même si celui-ci n’était plus tout à fait  dans l’air du temps quand il l’a repris. Il tournait – et tourne toujours – à la force des bras, à la manivelle. Pas l’électricité, pas d’effets spéciaux de lumière, pas de musique de fête. Aucune majesté dans sa structure métallique simple et ses 7,5 mètres de diamètre. « Les forains qui géraient des manèges modernes rigolaient de me voir tourner la manivelle !» se souvient le patron du manège.

Ici, pas de « queues du Mickey » aux références américaines à attraper! Il s’agit de véritables joutes équestres où les cavaliers en culotte courte, armés d’une baguette en bois, essaient d’attraper un anneau qui dépasse d’une boite suspendue. Ce « jeu de bagues » remonte au Moyen-Âge et il semble que Marie-Antoinette se soit divertie sur un tel manège dans les jardins de Trianon. Le jeu s’est démocratisé au dix-neuvième siècle et s’est adressé aux enfants.

Il faut de la dextérité pour attraper les anneaux.

Trois survivants à Paris

Aujourd’hui, il ne reste à Paris que trois manèges à jeu de bagues. Celui du Champ-de-Mars est le plus ancien. Il date de 1913  et "c’est le seul dans son état d’origine" souligne fièrement Renato. Les deux autres, au jardin du Luxembourg et au Ranelagh, ont des chevaux en résine ou sont motorisés.

Les vingt chevaux de bois du Champ-de-Mars ont été sculptés par les frères Limonaire, artisans de la fin du dix-neuvième siècle, célèbres notamment pour la construction d’orgues mécaniques. Les destriers ont évidemment subi les outrages du temps et ont dû être régulièrement réparés.

Un équidé peu sensible au poids des années

« C’est un peu comme les voitures anciennes » note le forain qui a développé au fil des ans une passion pour les arts forains. Il a ainsi épluché des documents d’archives dans les bibliothèques historiques et s’est mis à collectionner des manèges. Dans des granges ou ailleurs, il a retrouvé trois autres manèges à jeu de bagues d’époque et « en état de marche ». Le fervent amateur a longtemps rêvé d’ouvrir un musée d’art forain mais ce projet n’a pas encore pu aboutir, à son grand regret.

En 2013, Renato a organisé une fête à l’ancienne pour célébrer le centenaire de son manège. Il a déroulé le tapis rouge et recouvert le carrousel d’un élégant drapé rouge et doré, comme le veut la tradition.

Animation Belle Époque pour les cent ans du manège

Le forain aime célébrer le Paris d’autrefois. Tous les mercredis après-midi, il accueille notamment deux de ses amis, Josiane et Claude, qui viennent chanter le vieux Paris devant le chalet, en s’accompagnant de leur orgue de barbarie (Cliquez ici pour lire leur portrait  dans notre rubrique "Portraits d'été")

De plus en plus de touristes

Le manège, ouvert aux enfants âgés de moins de douze ans, a toujours une clientèle fidèle du quartier. Depuis quelques années, les touristes représentent 70% de la clientèle. Auparavant, venus pour admirer la tour Eiffel, ils ne remontaient pas le Champ-de-Mars jusqu’à l’avenue Charles Risler où se trouve le carrousel. Ils restaient aux alentours du célèbre monument. Maintenant, ils s’émancipent et découvrent l’ancien manège à manivelle avec émerveillement !

A côté du carrousel, se trouve une buvette, appelée « le Chalet » en souvenir de la mode qui a déferlé dans le Paris de la Belle Époque, lorsque de nombreuses buvettes se sont mises à imiter l’architecture des chalets suisses. C’est cette activité de petite restauration qui génère aujourd’hui la plus grande partie des revenus de la concession.

Renato pense avec une certaine nostalgie à l’époque pas si lointaine, où les familles des quartiers avoisinants venaient passer l’après-midi au Champ-de-Mars. Trois générations étaient réunies pour la promenade du dimanche et passaient au manège. C’était il y a vingt ans. Il se rappelle aussi le record absolu atteint par un enfant qui avait attrapé  vingt-trois anneaux en un tour de manège de trois minutes trente. Mais c’était en trichant un peu : il accrochait plusieurs anneaux en un passage, alors que la règle veut que l’on n’en prenne qu’un. On lui a pardonné ! Qui dit que Marie-Antoinette n’avait pas mis au point la même astuce pour s’imposer devant la cour à Versailles ?

Corinne Roy, 14 janvier 2023

Crédits photographiques :  Renato Di Camillo ; Amis du Champ de Mars / C. Roy